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Le rire jaune
26 juillet 2016

Où en est la déchéance de nationalité ?

La violence de propos avec laquelle est actuellement mené le débat sur la déchéance de nationalité est surprenante, et inédite. Même le débat de 2005 sur le traité européen n’avait pas atteint le registre d’outrance qu’on observe actuellement en parcourant la presse nationale et les réseaux sociaux. Lisons ce qui est écrit, notamment par ces intellectuels ou politiques qui, juste après le Bataclan, nous sommaient de ne pas céder à la «politique de l’émotion» (car c’était là, d’évidence, le danger principal)… Comme chacun peut le constater, leurs libelles actuels tiennent la promesse de ce vœu de grand calme. Ils se signalent en effet par la sobriété, les arguments rationnels et une parfaite maîtrise des affects. Voyez ce flegme admirable: l’extension de la déchéance aux binationaux terroristes nés français est une «infamie» (Thomas Piketty), un «attentat contre la République» (Edwy Plenel), une «ignominie» (Pouria Amirshahi), une mesure «criminelle» (Eric Fassin), un changement de définition de la République (Arnaud Montebourg), une «faute morale» (Guillaume Balas) qui donne «la nausée» (Jean-Luc Mélenchon). Et voici qu’on «like» à tour de doigts la une du Manifesto, qui a très subtilement nommé le président de la République «François Le Pen»! Ainsi, les mots se radicalisent, et se déroule devant nous comme un concours de la formule la plus frappante. On en est au point où les paroles les plus fortes qui avaient pu être prononcées pour condamner les attentats de novembre sont dépassées par l’expression d’une indignation sans précédent contre… une mesure qui, à tort ou à raison, fait partie de la réponse à ces attentats. Reprenons ici, sans prétendre à l’exhaustivité, les grands axes autour desquels se structure cette formidable riposte à la «déchéance morale»… d’un gouvernement de gauche. Un coup d'État contre la République? Une bonne partie de ceux qui s’élèvent contre la déchéance de nationalité nous avaient dans un premier temps présenté les choses comme s’il s’agissait d’une invention récente, pour affirmer que son adoption nous ferait changer d’ordre juridique et mettrait à bas la République. C’était archi-faux, puisque la déchéance de nationalité était déjà… inscrite aux articles 25 et suivants du Code civil. Ces ardents défenseurs de la République en péril ne connaissaient pas le droit réellement existant de la République. Mais cela a quand même beaucoup contribué à forger l’opinion anti-déchéance de nationalité dans certains milieux. Rappelons-le encore, donc: la déchéance de nationalité n’est pas contradictoire avec «la définition de la République en France», puisque la République réelle existe et fonctionne, depuis des dizaines d’années, avec la possibilité d’une déchéance de nationalité. Les quelques juristes sourcilleux qui ont rappelé que la déchéance de nationalité possible pour les terroristes figurait bien avant les attentats dans notre ordre juridique ont joué un rôle utile. Depuis, le débat s’est un petit peu déplacé. Il s’agit de démontrer que l’extension de la possibilité de déchéance de nationalité à des terroristes binationaux, quelle que soit l’origine de cette binationalité, nous ferait basculer d’une République acceptable à une République «insupportable». Mais retenons que le petit jeu qui consiste à picorer dans le droit ce qui plaît et à passer sous silence d’autres dispositifs juridiques existants, soit parce qu’ils ne plaisent pas, soit par ignorance, possède quelques champions, notamment dans la classe politique. Ramenons le problème à ses dimensions suffisantes, au risque de décevoir les spécialistes de la radicalisation textuelle et de l’esbroufe médiatique. La déchéance de nationalité pour ceux qui commettent des actes terroristes existe au Pays-Bas, en Belgique, en Italie, en Suisse, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans plein de pays qui sont des démocraties. Contrairement encore à ce qu’on lit ici et là, la déchéance de nationalité n’est pas une invention de l’affreux Daladier (1938), mais du gouvernement provisoire fondateur de la IIe République, en avril 1848. Qu’avait donc fait ce gouvernement, outre recueillir l’abdication du contre-révolutionnaire Louis-Philippe? Eh bien, dans le décret d’abolition de l’esclavage –l’un des gestes républicains les plus fameux de l’histoire de France car il a lancé la dynamique mondiale de l’abolition de l’esclavage (non sans cahots, résistances et reculs)–, il avait osé, tenez-vous bien, sous la pression de l’infâme Victor Schoelcher, prévoir ceci: «Art 8. A l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de citoyen français.» Ainsi, ce gouvernement issu d’une révolution populaire –le même qui abolissait la peine de mort– avait en son temps considéré que tout Français faisant commerce des êtres humains devait perdre la qualité de citoyen français. Cette affreuse «rupture d’égalité» entre Français lui avait paru parfaitement légitime. Décidément, la déchéance de nationalité ne pouvait pas avoir une origine plus impure, n’est-ce pas? Mais on pourrait également remonter à la Révolution française elle-même qui, dans ses Constitutions successives, n’hésitait pas à priver de tous leurs droits de citoyens certains individus ayant commis le crime de «lèse-nation». A entendre certains aujourd’hui, on ne doute pas qu’ils se seraient battus avec entrain pour que restent bien français les émigrés perruqués et poudrés de Coblence.

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